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Histoire d'une vie

A l'heure oû sonne son 88 ème printemps, à l'acmé d'une vie bien remplie, l'occasion nous est donnée, en partageant avec lui quelques fragments d'histoire de sa vie, de lui souhaiter un joyeux anniversaire. C'est l'opportunité également au travers du cheminement de ce codolétien de souche de saluer tous les autres codolétiens qui l'ont accompagné dans son existence. Histoire, également, de reformer en quelque sorte, l'espace d'un instant, la bande de copains, copines des années 38/48 qui donnait vie aux ruelles de notre village.
88 ans est un long voyage ponctué d'événements. C'est aussi une expérience qui marque le corps et l'esprit, laissant parfois des cicatrices indélébiles qui donnent à ce cheminement un sentiment d'épreuve. Gérard a cheminé en sécurité, heureux, sa vie durant, d'abord dans la chaleur du cocon familial, puis auprès de Janine, son épouse. Aujourd'hui que cette dernière est partie, la vie de Gérard n'a plus la couleur vive du bonheur qu'il a connu et chaque instant présent lui remémore un passé qu'il ne veut surtout pas oublier."tout ce que je fais me rappelle Janine"...
A reparler de son passé, l'amène à oublier quelques temps sa mélancolie, alors redonnons lui le sourire en évoquant avec lui quelques séquences de sa vie. Tolèrons quelques défaillances ponctuelles de sa mémoire consécutives à un ancien accident vasculaire cérébral.
Tel le visage plein et potelé d'un poupon, sur lequel le temps ne semble pas avoir eu prise, Gérard Bergeon prend plaisir à remonter le temps, prétexte à questionnement sur son passé, sur le sens de sa vie, sur ses amitiés ....
Le 4 avril 1928, dans le corps de ferme situé actuellement aux 12 rue du pont, naissait Gérard, fils unique d’Augustine et Emile Bergeon, agriculteurs. A cette époque les maternités étaient très rares et les accouchements se faisaient couramment à domicile. Les parents du nouveau- né venaient d’acquérir depuis peu ce corps de ferme : « cette maison, le propriétaire l’a proposée à mon grand-père qui était très intéressé…ma foi, mais qu’il a refusé dans un premier temps parce qu’il n’avait assez de sous …le propriétaire est revenu et lui a vendu en lui disant qu’il le connaissait( le dit en provençal) et avait confiance en lui et qu’il lui paierait à tempérament… et sans passer par le notaire…à l’époque la parole avait de la valeur…ma foi ! »
A l’heure de l’arrivée du poupon Gérard, la maison des Bergeons abritait également les grands parents et une tante et un oncle. Tout ce monde contribuait selon ses possibilités au travail de la ferme. Quelques hectares en polyculture, notamment du millet pour les balais, culture du vers à soie, des tomates, deux hectares de vigne, chèvres et une vache pour le lait, un à deux cochons pour la viande. L’entreprise familiale était en autosuffisance et prospérait par le rajout de quelques parcelles de terre.
Le jeune Gérard grandit, heureux, dans ce cocon familial sous la protection de sa mère et de sa tante qui prendra de plus en plus de place ( vers la fin) face à l’évolution du diabète de cette dernière.
Comme tous les gamins de Codolet, Gérard fréquenta l’école municipale jusque quinze ans. Ses copains de l’époque étaient Raymond Hérault, Sylvain Roux, Georges Pical, Mathieu Louis, Bonhomme Roland et René, Tavan Francy et les copines, Odile Labrot-Roux, Mado Ayme-Rivier, Francette (trou de mémoire)……… Après le certificat de fin d’études, Gérard rejoint son père sur l’exploitation de la ferme. Il apprend le dur métier d’agriculteur en vivant les améliorations technologiques, passant ainsi successivement du mulet au tracteur « on avait acheté un gros tracteur pour la polyculture…ma foi… et un motoculteur pour la vigne, mais il était trop lourd…ma foi. ».
Durant les années précédant son départ pour l’armée, Gérard convainquit son père d’engager l’exploitation familiale vers la viticulture. Petit à petit l’exploitation va alors abandonner la polyculture pour se tourner vers la culture de la vigne, d’abord en s’agrandissant par le rachat lopins de terre puis par l’achat de droits de plantation en Ardèche nécessaires pour replanter sur Codolet.
Le passage vers cette monoculture se fit progressivement. Pendant cette transformation, Gérard apprend le travail de la terre avec son père, s’initie également au travail de la vigne qui lui semble moins éprouvant. Il s’intéresse de plus en plus à la mécanique, à la conduite du tracteur et de la voiture familiale : « j’ai passé mon permis à Nîmes …avec la voiture de mon père…l’inspecteur m’a fait faire une longue marche arrière dans le Boulevard Victor Hugo près des arènes …eh op...c’était bon…ma foi ! »
A 20 ans (1948), son service militaire lui donne l’occasion de voir d’autres horizons. Loin de sa Provence, de son soleil, des cigales, le voilà parti pour l’ Allemagne, à Baden Baden. Les souvenirs de cette année passée dans le Bade-Wurtemberg laissent à Gérard une trace d’un séjour agréable, certes loin de la terre, de la vigne et de sa famille, mais qui comblait l’une de ses passions, l’automobile. En effet le codolétien se retrouve chauffeur de hauts gradés à l’état-major de la santé, poste dans lequel il excelle et qui lui vaut la reconnaissance de ses supérieurs. De retour en 49 à Codolet, il est rappelé pour faire une période militaire de 15 jours à Marseille où là encore il est chauffeur, mais cette fois d’un GMC.
Au retour de l’armée, l’exploitation familiale se dirige de plus en plus vers la viticulture. Gérard s’occupe alors des côtes du Rhône, son père du vin de table et du reste de la polyculture.
De ces années, Gérard garde les souvenirs d'une période heureuse, rythmée par le travail , les sorties avec les copains, d’inondations presque annuelles mais qui ne les dérangeaient pas du tout « on montait le réchaud à l’étage, on surélevait les meubles … on montait les animaux ( chèvres et le mulet dans le grenier au dessus des écuries avec un plan incliné...et on attendait que l’eau parte…on en avait maximum 25 cm ». C'était aussi l'occasion de se déplacer dans le village avec un "bateau plat " de 5 mètres, qui agrémentait ces épreuves d'un caractère ludique les rendant encore plus "acceptables".
Gérard apparait dans ces années comme un « coq en pâte » dans un cocon familial chaleureux. Son existence est essentiellement rythmée par le travail de la vigne, mais amateur de mécanique et d’automobile, Gérard a su se ménager du temps pour ses passions, n’hésitant pas à démonter et remonter des moteurs. " j'ai eu au total trois Mercedes...et une DS que je suis allé chercher à Paris"" pour la sortir ... il m'a fallu prendre un chauffeur jusque la porte d'Italie... et après op..ma foi!"
A remonter le temps, la mémoire de Gérard est à forte épreuve, laissant parfois apparaître des oublis ou imprécisions dans la chronologie des dates, événements, mais qui n’empêchent nullement d’apprécier son chemin de vie.
Il reprend la ferme à son compte (trou de mémoire), encadré par son père. Lui aussi, continu à développer l’exploitation par le rachat de parcelles souvent mitoyennes aux siennes pour accroître les surfaces exploitées, alors exclusivement de vigne.
Alors qu'il est âgé d'une trentaine année, Gérard fait la rencontre de Janine lors d'après-midi dansantes à Avignon. A l'époque, divorcée avec un fils à charge, elle travaille aux galleries (magasin) d'Avignon. A Codolet, le foyer familial s'est fortement transformé consécutivement au décès de son oncle et de sa maman. Gérard est alors managé par son père mais surtout par sa tante qui tend à remplacer la mère défunte. Il fréquenta Janine trois à quatre années avant de l'épouser ( trou de mémoire). Elle devint progressivement une pièce importante dans la vie du couple. Après avoir soigné avant leur décès le père et la tante de son mari, Janine devint la maitresse de maison sur laquelle Gérard pouvait compter et se reposer de tous les tracas de gestion. L'exploitation exclusivement viticole se développe pour atteindre vingt cinq hectares. La seule ombre au tableau...l'absence d'un descendant " il aurait repris l'exploitation...ma foi".
En 1988, à 60 ans, Gérard se met en retraite, vendant toutes ses parcelles, soit à des particuliers en terrain constructible, à la mairie pour ériger le lotissement et le reste à la SAFER en comptre-partie d'une rente.
Pendant 26 ans, Janine et Gérard, vont profiter d'une retraite bien méritée. Gérard bricole à la maison sous le regard protecteur de sa femme, toujours prêt à la conduire en course ou en promenade.
Ce bonheur pris fin le 16 janvier 2014, jour du départ de Janine.
Aujourd’hui, l’homme a toujours le visage d’un poupon bien en chair, en bonne santé avec malgré tout quelques failles dans sa mémoire, une locomotion réduite, mais dont , malheureusement, les yeux ne brillent plus comme ils brillaient aux interpellations de Janine. L’élan de vie a fait place à un repli sur soi, comme pour vouloir retrouver dans la solitude, celle qui ne le quitte pas de sa journée.
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